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Ecumenical Centre under construction.

Le Centre œcuménique en construction.

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Le pasteur Odair Pedroso Mateus a d’abord occupé la fonction de conférencier en théologie œcuménique à l’Institut œcuménique de Bossey (2004-2021) avant d’être nommé directeur de la Commission de foi et constitution (2015-2022) puis secrétaire général adjoint du COE (2020-2022). Il est membre du conseil de paroisse de la Cathédrale Saint-Pierre à Genève.

Notre première étape nous mènera à la rue Calvin, où nous en apprendrons davantage sur le travail pionnier des jeunes œcuméniques dans les années 1920 et 1930. Nous déambulerons ensuite une vingtaine de minutes pour rejoindre la route de Malagnou qui nous plongera dans un COE de l’après-guerre en plein essorLa visite s’achèvera sur l’autre rive du lac Léman, où, route de Ferney, le 11 juillet 1965, nous entendrons un sermon sur ce qu’une nouvelle chapelle peut nous apprendre sur l’appel à l’unité. C’est parti!       

I. Le premier centre œcuménique? Rue Calvin, dans la vieille ville

La vieille ville de Genève abrite une rue Jean-Calvin, du nom du grand réformateur protestant qui y vécut dès 1543 jusqu’à sa mort, en 1564. De chez lui, Calvin mettait quatre à cinq minutes pour atteindre la Cathédrale Saint-Pierre où il prêchait les dimanches, la plupart du temps au deuxième culte célébré à 6 heures du matin. La Genève de Calvin s’est rapidement imposée comme l’épicentre du mouvement de la Réforme qui valut à la ville, dès le XVIIe siècle, le surnom de «Rome protestante».

La maison du réformateur, qui déclarait être prêt à «traverser dix mers» pour promouvoir l’unité des chrétien-ne-s, a été démolie en 1706, ce qui n’empêcha pas la rue portant son patronyme de se prédestiner à marquer l’histoire chrétienne au fil des siècles qui suivirent. 

Grâce à l’évangélique genevois Jean-Henry Dunant, alors âgé de 24 ans, la branche genevoise des Unions chrétiennes de jeunes gens (YMCA) élut domicile au 14 rue Calvin en 1852. M. Dunant n’en est pas resté là. Il convainquit la YMCA Paris d’organiser une conférence internationale en 1855. L’un des résultats clés de cette conférence fut la création de la World YMCA qui, sans surprises, choisit de s’installer en 1878 à quelques mètres à pied de … la rue Calvin. 

M. Dunant publie en 1862 un ouvrage intitulé Un souvenir de Solferino sur le besoin d’organiser les secours pour les soldats blessés de guerre, jetant les bases (et je me dois de préciser: à deux pas de la rue Calvin…) de ce qui deviendra la Croix rouge internationale en 1863 et mènera aux accords internationaux sur le traitement équitable des victimes de guerre.

Ce n’est là qu’un épisode de la saga de la rue Calvin. Après la Grande Guerre de 1914-1918, la World YMCA recherchait un-e secrétaire international-e pour son ministère auprès des garçons à l’école secondaire. Le choix s’est porté sur un jeune leader néerlandais de 23 ans de la YMCA, un certain... Willem Adolf Visser ‘t Hooft. Fin 1924, les jeunes mariés «Wim» et Jetty emménagent à Genève, que Wim surnommera la «Mecque de nouvel internationalisme». Il ignorait qu’à l’instar de la rue Calvin, il se prédestinait à marquer de son empreinte les pages de l’histoire du mouvement œcuménique et à travailler dans trois lieux successifs à Genève ayant accueilli le siège du COE. 

Au moment où le jeune Visser ‘t Hooft s’installait dans son confortable bureau de la YMCA au 23 Grand Rue, la Fédération universelle des associations chrétiennes d’étudiants (FUACE) lançait son Service international aux étudiant-e-s (SIE). Le SIE a vu le jour dans le sillage du remarquable Secours aux étudiants européens de l’après-guerre de la FUACE, que Ruth Rouse a décrit avec brio dans sa publication de 1925: Rebuilding Europe: The Students Chapter in Post-War Reconstruction («Reconstruire l’Europe: le chapitre étudiant de la reconstruction de l’après-guerre», non traduit). Plusieurs années plus tard, Robin Boyd qualifiera le Secours aux étudiant-e-s et le SIE de «premier programme de secours entièrement œcuménique au monde», ce qui explique le sous-titre de son ouvrage sur le témoignage du mouvement étudiant chrétien: «Church ahead the Church» (L’Église en avant de l’Église).

Vous vous en doutez, les locaux du Service international aux étudiant-e-s se trouvaient au... 13 rue Calvin. Lors de ses premières années à la faculté de l’Institut œcuménique, Suzanne de Diétrich évoquera ces années avec tendresse dans sa publication:  Cinquante ans d’histoire: La Fédération universelle des associations chrétiennes d’étudiants. Les locaux du SIE deviendront le siège de la FUACE jusqu’en 1970. Visser ‘t Hooft rejoint la FUACE en 1929 en tant que secrétaire chargé de la coordination avant d’être nommé secrétaire général en 1932, fonction qu’il occupera jusqu’en 1938. Le Conseil œcuménique des Églises, alors «en cours de formation», décide de s’installer à Genève début 1939 et de nommer comme secrétaire général un Wim ému par la vision d’un appel aux Églises divisées à répondre à leur vocation commune et de révéler ainsi l’Église Une au monde.

La rue Calvin pouvait alors reposer en paix. Elle a incarné l’ADN du mouvement œcuménique moderne: la compassion humaine pour les vulnérables au cœur de la mission de la Croix rouge, et la passion pour l’unité des chrétien-ne-s dont se sont nourris ces trois formidables incubateurs œcuméniques: la YMCA, la FUACE et la YWCA (Unions chrétiennes de jeunes filles).

II. Route de Malagnou: le deuxième centre œcuménique

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World Council of Churches in Malagnou, Geneva

Le Conseil œcuménique des Églises à Malagnou, à Genève, dans les années 1950

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Lorsque le COE inaugure son premier siège en 1939 comme locataire de l’Église protestante à Genève au 41 chemin des Crêts-de-Champel, Genève s’était déjà mue en un pôle international pour l’appel aux chrétien-ne-s et aux Églises à cheminer, travailler et prier ensemble. Le bureau central européen d’entraide des Églises a vu le jour en 1922 dans la ville de Calvin sous la houlette d’Adolf Keller. Le mouvement du Christianisme pratique et son Institut social chrétien international s’y sont implantés en 1928. Au même moment, le Conseil international des missions déplaçait à Genève son département de recherche sociale et économique. L’Alliance mondiale des Unions chrétiennes de jeunes filles (YWCA) a suivi en 1930 et le mouvement pour la Conférence mondiale de Foi et constitution a ouvert son deuxième bureau, après celui de Boston, au 57 rue de Lausanne, à quelques encablures de la gare principale de Genève. L’Alliance universelle pour l’amitié internationale par les Églises et le Christianisme pratique ont partagé les mêmes locaux et le même secrétaire général à Genève entre 1931 et 1937, probablement au 52 rue des Pâquis.

Pendant les années de guerre, la solidarité par-delà les frontières nationales, confessionnelles et religieuses a cessé d’être une option pour devenir une question de survie. Ce que Visser ‘t Hooft qualifiera plus tard de «conviction œcuménique la plus intense» vécue pendant ces années a mené inévitablement à la croissance du COE. Il était alors nécessaire de coordonner les activités ecclésiales d’aide aux réfugié-e-s; il était nécessaire de faciliter le discernement des Églises sur leur rôle en situation de guerre; il était nécessaire d’organiser l’aumônerie et l’assistance aux prisonniers et prisonnières de guerre (400 000 Bibles ont été distribuées!) et d’esquisser des plans pour la création d’un département pour la reconstruction et l’entraide des Églises; il était nécessaire de former les responsables laïcs en doctrine chrétienne et de les doter d’une vision pour contribuer à la reconstruction des sociétés et à la reconstruction et à l’unité des Églises. En 1939, le Conseil comptait 55 Églises membres. Leur nombre s’élevait à 90 en 1945. Il devint alors urgent de trouver de nouveaux locaux pour abriter le siège. 

Vous serez surpris-e par la lecture des pages du compte-rendu de séance du Comité provisoire du COE en 1946. Il n’y est pas question de l’«Institut œcuménique de Bossey», mais du «Centre de formation de Bossey», et dans une lettre adressée aux personnes participantes, l’évêque catholique romain de Fribourg assure que lors de leur séance «ma prière s’élèvera aux côtés de la vôtre, en unité avec la prière de Jésus à la veille de sa passion», surprises qui culminent, pour notre chronique, avec la mention sur la page de garde du compte-rendu: «Conseil œcuménique des Églises – route de Malagnou, 17».

En effet, un an plus tôt, grâce au soutien financier des Églises d’Amérique du Nord, le COE acquit le 17 route de Malagnou, dans l’Est genevois, une villa aux allures de chalet entourée d’un grand jardin s’apparentant à un parc paré de nobles cyprès, ifs communs, chênes et cèdres. De son bureau situé au premier étage, face à l’entrée, le patron Visser ‘t Hooft gardait un œil sur les membres du personnel. Baldwin Sjollema confiera alors à Jurjen Zeilstra, «le» biographe de Visser ‘t Hooft, qu’un jour de forte chaleur, le patron renvoya chez elle une personne qui s’était rendue au travail affublée d’un lederhosen bavarois...

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WCC headquarters Malagnou, 1954.

Siège du COE à Malagnou en 1954

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Mais le COE n’allait pas tarder à se retrouver victime de sa croissance soutenue. Les années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale ont vu arriver à Malagnou la Commission des Églises pour les affaires internationales, la Commission de foi et constitution, le département de la jeunesse et les secrétariats de deux communions chrétiennes mondiales: La Fédération luthérienne mondiale et la Communion mondiale d’Églises réformées. S’ajoutent à cela les locaux de la bibliothèque qui étaient «inadaptés et insatisfaisants», les salles de réunion qui n’étaient pas «assez grandes» et l’absence de chapelle qui «se fait sentir depuis longtemps». En d’autres termes, si l’on en croit les mots plus directs de Monseigneur Henry Sherrill, c’était un «scandale».

Le Conseil était de nouveau hanté par ses espaces de travail. En 1946, la propriété située au 19 route de Malagnou venait compléter le numéro 17. Des tentatives se sont multipliées pour acheter des maisons route de Malagnou entre le numéro 19A et 23, mais les propriétaires ont refusé de vendre. Quelques années plus tard, un accord avec la ville de Genève sera conclu de l’autre côté du campus pour louer le numéro 15 route de Malagnou. Mais cela n’a pas suffi. Il a fallu improviser.

C’est alors que les passant-e-s de l’époque, déambulant devant le Centre œcuménique de Malagnou, s’étonnaient de voir des baraquements militaires en bois. Je m’explique. Dans les années qui suivirent la guerre, le département du COE pour la reconstruction et l’entraide des Églises venait en aide aux congrégations dont les bâtiments avaient été détruits pour leur permettre de reprendre leur culte le plus rapidement possible. Une solution provisoire a été trouvée en leur proposant des «églises en bois» produites en Suisse pour la plupart et certaines en Suède. Ainsi, en 1946, 48 églises en bois avaient été livrées et 27 autres étaient en construction pour un coût moyen de 25 000 francs suisses chacune. Certains baraquements en bois de l’armée suisse ont atterri route de Malagnou et ont été modifiés pour servir de bureaux. Ce n’est qu’en 1962 que des discussions eurent lieu pour ajouter un étage supplémentaire aux baraquements et libérer des espaces de travail supplémentaires. 

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Barracks at route de Malagnou, August 1964

Baraquements de la route de Malagnou en août 1964.

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Dès les années 1955, il apparut clairement que les possibilités d’expansion géographique du COE dans la rue de Malagnou atteignaient leurs limites: le Conseil devait changer d’approche face à l’éternel problème de son siège où près de 200 personnes travaillaient désormais. Le COE décida de se tourner vers les autorités cantonales et genevoises. Dans une lettre datée du 4 février 1958, la ville de Genève propose formellement au COE un échange simple: la mise à disposition d’un terrain de 34 000 mètres carrés au cœur de la zone internationale de Genève contre la remise des propriétés rue de Malagnou d’une superficie de 8 000 mètres carrés. En août de cette année-là, le Comité exécutif du COE acceptait les termes «généreux» de l’échange. En février 1959, le Conseil municipal de Genève approuvait à l’unanimité l’échange et accorda au COE trois ans de location gratuite à Malagnou, jusqu’au 1er juin 1962. 

III. Route de Ferney: le troisième Centre œcuménique

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Ecumenical center 1970

Le Centre œcuménique en 1970

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Comment trouver les 2,5 millions de dollars nécessaires pour construire le nouveau Centre œcuménique? Le COE décida d’abord de solliciter à nouveau les Églises américaines. Un membre du présidium du COE, Henry Knox Sherrill, évêque président sortant de l’Église épiscopale américaine, est alors nommé président du Comité pour l’appel et le presbytérien Eugene Carson Blake, futur successeur de Visser ‘t Hooft, est nommé responsable du Comité pour les biens immobiliers du siège. Des contributions en nature et en espèces ont été versées par de nombreuses Églises membres à travers le monde. Début 1959, le fonds pour la construction du siège était doté d’un million de dollars, chiffre qui passa à 1,5 million de dollars en août 1959, puis 1,6 million en 1960, 2,2 millions en 1961 et enfin 2,5 millions de dollars en 1962. Or, le coût réel des travaux de construction étant toujours connu a posteriori, un effort supplémentaire permit de lever 350 000 dollars. 

Les premiers plans et modèles du nouveau Centre œcuménique, nés du coup de crayon des architectes Senn et Lesemann, ont été présentés au Comité exécutif en août 1958. Dès le début, les comités et les organes directeurs ont soutenu leurs belles lignes. En 1962, la revue The Ecumenical Review décrit avec précision et en des termes clairs de ce qui deviendrait le 150 route de Ferney: «trois ailes de bâtiments seront construites autour d’un bâtiment central plus bas qui abritera la chapelle, la salle de conférence, le hall d’entrée et la zone d’expositions, les bureaux des comités de même que le bureau du secrétaire général». La bibliothèque et les archives, pierres angulaires de toute organisation fondée sur le savoir telle que le COE, auront un bâtiment dédié. La salle de conférence principale serait un cadeau de l’américain Clarence Dillon et le nombre invraisemblable de panneaux d’acajou revêtant ses murs et ceux de certaines salles de conférence seront l’incroyable cadeau des Églises membres du Ghana. Le désir de Malagnou d’avoir une chapelle sera finalement exaucé. Pourtant, ce ne fut pas chose aisée. 

Imaginez le niveau de mécontentement lorsqu’il fut proposé de mandater un architecte pour concevoir un espace de prière qui satisfasse les attentes de représentant-e-s de différentes traditions chrétiennes, une véritable quadrature du cercle. Une controverse nourrie vit le jour dès 1959 au sujet des plans de conception de la chapelle. Les quelques paragraphes ci-après tenteront de résumer les deux années de discussions parfois prolongées qui suivirent. 

C’est en février 1959 que les architectes remettent au Comité exécutif les plans remaniés et révisés du Centre œcuménique et «les discussions se sont concentrées sur les plans de la chapelle». M. Senn se déclara prêt à revoir sa proposition initiale de chapelle carrée surplombée d’un toit. Les discussions ont notamment porté sur une éventuelle chapelle octogonale, avec une tour ou une flèche. Sa proposition de placer un autel au centre de la chapelle et une chaire en arrière-plan a été rejetée, car «une telle disposition ne serait pas acceptable pour certaines traditions...» 

Selon le Comité pour les biens immobiliers du siège, les plans finaux devaient être «en harmonie suffisante avec les différentes traditions, les pratiques liturgiques et les convictions des Églises membres». Il a été recommandé de consulter des théologien-ne-s et des spécialistes de la liturgie. En août 1959, Carson Blake annonça au Comité exécutif que les plans révisés des futurs bâtiments étaient jugés «hautement satisfaisants». À l’exception de la chapelle. Les membres du Comité exécutif ont été prié-e-s d’étudier «deux propositions de conceptions possibles de la chapelle» soumises par M. Senn. 

En février 1960, les membres du Comité exécutif saluèrent les plans révisés de M. Senn pour la chapelle, mais y apportèrent de nouvelles exigences. Une «symbolique inspirée du sceau du Conseil œcuménique» devait être ajoutée sur l’un des murs extérieurs de la chapelle. Les plans de l’architecte pour l’intérieur de la chapelle n’étaient pas pleinement satisfaisants. On lui demanda de supprimer toutes les galeries proposées le long de deux murs. Sa proposition de tour de l’horloge à l’entrée de la propriété n’a pas non plus été acceptée. En août, le Comité pour le siège déclarait que M. Senn s’était «montré réticent à respecter les conditions énoncées par le Comité central en 1959 concernant la modification des plans de la chapelle». Ceci mena à la rupture de son contrat avec le Conseil. 

Début 1961, les dernières moutures des plans finalisés des bâtiments et de la chapelle étaient présentés au Comité pour le siège par Lesemann et un architecte nouvellement recruté, J.-J. Honegger, qui proposa «quatre axes de développement possibles de la chapelle». Le Comité exécutif approuva les plans. À l’exception de la chapelle.

Il invita Honegger à poursuivre en prenant en compte de nouvelles recommandations: l’utilisation du verre pour le mur sud-est et l’ajout d’un architecte scandinave «dont la réputation n’est plus à faire» à l’équipe d’architectes. Les plans pour la chapelle présentés en juin 1961 ont finalement été approuvés. Au cours des dernières discussions, l’anglicane Kathleen Bliss déplora que «les plans semblaient donner une plus grande importance au ministère du Verbe et détriment du ministère du sacrement». L’orthodoxe Nikos Nissiotis, alors membre de la faculté de l’Institut œcuménique de Bossey, approuvait l’argument de Bliss en déclarant que «la chaire était démesurément imposante». Selon lui, par contre, «le fait que la chapelle ne suive aucune tradition liturgique en particulier était un élément satisfaisant..»

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Ecumenical center chapel under construction

La chapelle du Centre œcuménique en construction.

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Les travaux de la route de Ferney sont lancés en juin 1961. C’est au théologien suisse réformé Jean-Louis Leuba que l’on doit la boutade: vu la quantité de béton déversé à la route de Ferney, le mouvement œcuménique semblait croire que l’unité visible ne serait pas pour tout de suite. Au printemps 1964, à Malagnou, on commençait à faire ses adieux au parc verdoyant et à ses cyprès, ifs communs, chênes et autres cèdres. Ils s’y trouvent toujours d’ailleurs, ombrageant de leurs feuilles les mêmes villas de l’époque, attendant votre visite. 

Les nouveaux locaux ouvrirent leurs portes en avril 1964. Lors des années qui suivirent, le Centre œcuménique accueillit des communions mondiales et organisations œcuméniques, dont les patriarcats orthodoxes de Constantinople et de Moscou, aujourd’hui installés côte à côte au premier étage, ainsi que le Conseil méthodiste mondial. Le centre œcuménique n’était pas loin de devenir un véritable signe de catholicité que la 4e Assemblée du COE à Uppsala qualifia d’«opposé à toute forme d’égoïsme et de particularisme».

Le Centre œcuménique est officiellement inauguré le 11 juillet 1965, lors de la première journée d’une session du Comité exécutif. Une célébration de prière est alors donnée en la chapelle agencée en une métaphore du mouvement œcuménique perçue comme un échange de dons. 

Un Visser ‘t Hooft vieillissant monta les deux marches qui le séparait de la chaire pour y prêcher l’un de ses derniers sermons en tant que secrétaire général du COE. 

Était-il en cet instant en proie à des sentiments mitigés, contradictoires? L’heure est venue de rendre grâces pour l’avenir prometteur qu’entrouvre cette inauguration. Mais pour lui, l’heure est aussi au souvenir et au retour sur le long chemin genevois de la mémoire, de ses quarante ans de ministère œcuménique. Qui d’autre pour servir le mouvement œcuménique successivement rue Calvin, Chemin des crêts-de-Champel, route de Malagnou, et enfin route de Ferney? Il aura 65 ans le 20 septembre et s’apprête à prendre sa retraite du Conseil œcuménique des Églises. Sonne alors le glas de la finitude.

Le sermon de Visser ‘t Hooft, dont je donnerai les grandes lignes dans les paragraphes qui suivent, m’a fait penser aux messages clés de ses conférences données à Yale en 1957, et rappelé combien ces messages ont semé les graines de l’élargissement du fondement théologique du COE en 1961. En septembre 1957, Visser ‘t Hooft eut la chance de pouvoir donner une série de conférences à l’École de théologie de Yale aux États-Unis et de présenter une théologie du mouvement œcuménique. Sa tâche était de donner des orientations en cette période œcuménique intermédiaire, car «cet entre-deux est une période où nous ne pouvons plus rester totalement isolé-e-s et nous nous rendons compte que nous devons rester uni-e-s, sans pour autant pouvoir intégrer une véritable communauté fraternelle les un-e-s avec les autres». La clé, affirmera-t-il, réside dans «la découverte que l’unité des chrétien-ne-s grandit», passant de l’unité qui existait déjà vers l’unité «dont parle le Nouveau Testament». L’unité de l’Église «est le corollaire nécessaire à sa vocation». L’unité de celles et ceux qui partagent une vocation commune grandit «lorsque ces personnes répondent à leur appel» à témoigner, rendre service et vivre en communauté fraternelle. L’unité croît lorsque les Églises cherchent à faire Église. Les conférences à Yale ont fait l’objet d’une publication en 1959 sous le titre The Pressure of Our Common Calling («La pression de notre vocation commune», non traduit).

L’idée que l’unité croît lorsque les Églises divisées tentent de répondre ensemble à leur vocation commune refait surface cette année-là lors d’une visite du COE en Russie pour préparer l’entrée des Églises orthodoxes d’Europe orientale au Conseil.

Au petit-déjeuner qu’ont partagé l’historien de l’Église russe, Vitali Borovoy, et Nikos Nissiotis, il a été question de l’élargissement de la base théologique du COE pour la rendre plus trinitaire. Pris d’une inspiration soudaine, Visser ‘t Hooft écrit au dos de la carte de l’hôtel: «le Conseil œcuménique des Églises est une communauté fraternelle d’Églises qui croient en Jésus Christ, notre Dieu et Sauveur, et qui, guidées par l’Esprit Saint, tentent de répondre ensemble à leur vocation commune de manifester leur unité en tant qu’enfants de notre Père céleste». Deux ans plus tard, la 3e Assemblée du COE en 1961 modifiera le premier article de la Constitution du COE pour devenir: «Le Conseil œcuménique des Églises est une communauté fraternelle d’Églises qui confessent le Seigneur Jésus Christ comme Dieu et Sauveur selon les Écritures et s’efforcent de répondre ensemble à leur commune vocation pour la gloire du seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit».

Cette idée fondamentale de la théologie œcuménique de Visser ‘t Hooft, désormais un élément intrinsèque et constitutionnel de la compréhension qu’a le COE de lui-même, était la moelle épinière herméneutique de son sermon prononcé le jour de l’inauguration du Centre œcuménique. Son sermon était articulé autour d’une formule d’adieu tirée de Colossiens 4,17: «Enfin, dites à Archippe: Veille au ministère que tu as reçu dans le Seigneur, et tâche de bien l’accomplir».

Il ajouta que tout ce qui se produirait dans ces locaux «devra être soutenu, nourri et inspiré par la conversation avec Dieu» qui se tiendra dans la chapelle. C’est la raison pour laquelle «il n’était pas question de placer cette chapelle dans un bâtiment séparé». Si nous n’oublions pas le but poursuivi par la construction de cette chapelle, «nous devrions être en mesure de mieux comprendre le sens même de notre tâche œcuménique».

Quel est ce but précisément? À l’instar d’Archippe, tout chrétien et toute chrétienne est un-e pasteur-e avec un ministère, un serviteur au service. Cette chapelle nous rappelle «cette vérité fondamentale». En cette chapelle, Dieu ne cessera de nous rappeler notre appel au ministère en nous posant la question: «Que faites-vous de la vie que je vous ai donnée, et du but que je poursuis en vous?» 

Pourtant, le sens de la chapelle du Centre œcuménique «va plus loin encore». Les personnes qui s’y rendront «viendront de toutes les nations et d’une multitude d’Églises», partageant un ministère commun. Quel ministère? Le texte répond: «un ministère reçu du Seigneur». La tâche commune pour laquelle nous coopérons «n’est pas une tâche de notre invention». Elle consiste à rassembler le troupeau du Grand Berger. Et comme nous pouvons vite être enclins à l’oublier, nous devrons toujours revenir à cette chapelle.

Notre ministère commun est un ministère «dans le Seigneur». Ceci implique que nos différences tenaces soient des «différences au sein d’une famille qui n’a qu’une seule tête». Si nous nous sentons découragé-e-s par le fait que nous ne possédons pas d’unité parfaite, «nous devons nous rendre compte, en cette chapelle, que nous sommes déjà lié-e-s les un-e-s aux autres, car nous appartenons tous et toutes au même Seigneur.» En cette chapelle, «sentons-nous entouré-e-s de toutes les femmes et de tous les hommes qui appartiennent à son corps. Leurs prières nous porteront et invoquons des intercessions pour chaque Église séparément, en essayant de nous identifier à ses joies et à ses souffrances».

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Brugger garden

Le jardin Brugger au Centre œcuménique.

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